LE GROENLAND EN SKI-PULKA (MARS 2018)

Par Amanda - Photos Amanda et Camille

Passionnés d’aventures, gourmands de rencontres, découvertes, d’échanges, sportifs, Amanda et Camille parcourent, en couple ou en famille, la France, l’Europe, les Amériques, l’Afrique, l’Asie. Ils en rapportent de belles images, des souvenirs, des anecdotes, des éclairages sur la vie et la culture des habitants des pays visités. En mars 2018, c’est le Groenland qui a attiré ces deux « baroudeurs ». Une première en ski-pulka, dans le froid, la neige, mais l’accueil chaleureux de leurs hôtes, qui vous donnent la force d’aller plus loin. Voici le récit de l’aventure par Amanda. Un récit que nous avons condensé. Vous pourrez retrouver l’intégralité du témoignage sur leur site https://unduvetpourdeux.com/face-au-66-une-expedition-givree-au-groenland/

Merci à eux !

« Avant de démarrer ce trek, il a fallu s’y préparer. Aussi bien physiquement qu’en terme de logistique. Jamais je n’aurais imaginé, avant cette aventure, tracter une pulka de plus de 20 kilos sur plusieurs jours dans ces immenses étendues blanches ».

 

Jour 1 à 2 : début de l’aventure, atterrissage à Tasiilaq, au sud du Groenland, sur la côte Est.

Nous trainons nos pulkas dans la neige pour regagner la Red House. C’est notre point de départ de l’expédition. Robert nous accueille. Explorateur tombé amoureux de cette île, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le Groenland. Le chalet de notre hôte est proche de nos refuges, avec plus de confort. Une grande maison rouge tout en bois, de grandes ouvertures donnant sur le fjord enneigé. Sur les murs, plusieurs bottes traditionnelles sont exposées. Il y a même une vitrine d’objets en os et dents de phoques, des cartes postales, des écussons d’expédition. Pas le temps de se poser. Nous découvrons la banquise et les alentours du village. Notre expédition n’a pas vraiment démarré, mais quel bonheur d’être ici ! Le petit port du village de Tasilag est étonnant. Les bateaux de pêche sont emprisonnés dans la glace. C’est assez impressionnant. D’énormes containers, aussi colorés que les habitations, habillent les bordures du fjord. Les reflets de couleur turquoise de la banquise contrastent avec l’ambiance grisâtre de la journée, c’est si beau ! Un pêcheur est en œuvre, fil de pêche en main et cigarette dans l’autre. Il patiente assis sur son traineau en bois. La scène semble décalée, Camille et moi en ski-pulka, vivaces et curieux, et lui patiemment posé. Il nous accueille et ne refuse pas l’échange. Un trou dans la glace, une nouvelle ligne de 130 mètres, un peu de patience et le tour est joué. Le pêcheur confie sa ligne à Camille qui, rapidement, a une touche. Cela le réjouit. Il s’empresse de remonter des mètres et des mètres de fil de pêche. Tadam ! La chance du débutant lui a souri, il a pêché un beau poisson.

 

"C’est vraiment incroyable et fascinant de réaliser que nous sommes à l’autre bout du monde !"

 

La journée est passée à une vitesse folle. Pourtant le temps semble figé. De retour à la Red House, Robert nous accorde un peu de son précieux temps. Il nous conseille sur notre itinéraire, fait le point météo. Sans une météo clémente, rien n’est possible. On se plie donc aux conditions extrêmes dans lesquelles les groenlandais vivent en faisant face aux aléas de cette aventure. On se sent tellement chanceux d’être dans cette partie sauvage du Groenland !

Jour 3 : feu vert donné, l’expédition peut commencer

Tôt le lendemain, le ciel plutôt couvert, nous fait douter quelques instants.  Robert, nous encourage et c’est parti. Le village semble encore endormi. En arrivant sur la banquise, une brume semble vouloir s’installer. C’est beau ! Un homme en traineau s’arrête pour nous saluer pendant que nous faisons notre première pause-photo, fiers de prendre le départ. Seul objectif, rejoindre le village de Tiniteqilaaq. Nos skis glissent plutôt bien sur la neige et la glace, mais le poids des pulkas se fait déjà sentir. Cela me donne une bonne idée des difficultés qui nous attendent. Nous voici seuls dans ce monde merveilleux de glace. Ce moment est magique. Je me répète inlassablement : « On est au Groenland, en ski nordique et pulka, à admirer ce traineau filer sous nos yeux ! ».

Passé le premier lac, c’est une montée de col qui nous attend. Camille passe devant. L’effort est très intense. Au-delà de ce que je pouvais imaginer. Les conditions météo ne sont pas avec nous, la pluie rend cette course plus compliquée. Je m’interroge vraiment sur nos chances de succès. La peur de rencontrer un ours blanc m’inquiète. Les traces des motos-neige nous induisent quelque peu en erreur. Cette traversée nous semble interminable. Pour autant on poursuit, décidant de déjeuner à la fin du prochain lac. Déjà midi, avec un réveil à 5 h, il n’est pas étonnant qu’on ait faim. Purée au poulet bio pour deux, lyophilisée bien sûr, agrémentée d’un délicieux pain d’épices aux grains de sucre et son carreau de chocolat noir noisette, le tout accompagné d’une petite tisane. Nous reprenons notre itinéraire en suivant les traces. Le rythme s’intensifie. Je gagne en vitesse, mais dans les montées quand il s’agit de tirer un peu, mes épaules basculent en arrière. Les élastiques de la pulka accrochés sur mes mousquetons grincent comme des ressorts. A mi-parcours, apparaissent 3 petites huttes. Elles sont fermées. Épuisés et détrempés par la pluie et la neige fondue, il nous faut nous abriter. Avec de la persévérance, nous trouvons la cabane indiquée sur la carte. Elle est ouverte, on s’y installe. L’intérieur est sommaire, une planche de bois et quelques clous pour étendre nos effets. C’est une entrée en douceur pour notre première nuit en bivouac hivernal. Le bilan de cette journée est plutôt positif, malgré quelques douleurs par-ci par-là…

 Jour 4 : à mi-parcours dans la brume et sous la neige

Notre réveil sonne à 6 h. Le temps n’est pas avec nous. On avale un thé et quelques pâtes de fruits avant de remettre nos vestes encore humides. Je suis assez surprise de ne pas être courbaturée de mes efforts de la veille. Les gourdes remplies à la rivière, nous entamons la seconde partie de notre expédition, pour rejoindre le village de Tiniteqilaaq. Petite fausse note de la veille : avec la fatigue, nous avons oublié de retirer les peaux de phoques sous nos skis, pour les faire sécher. Leur humidité va rendre la progression de plus en plus difficile, la neige collant sur les peaux de phoque sous nos skis. Le décor est tout blanc, pas un soupçon de végétation à l’horizon. Seulement deux points rouges (nous !) dans cette immensité. Il me restera longtemps en mémoire cette incroyable traversée de l’immense surface du glacier, comme le sentiment d’être au bout de la planète. On avance durant deux heures sans perspective visuelle. Le glacier est vraiment très grand. Première grande descente, donc premières chutes. La vitesse de glisse de nos pulkas respectives nous déstabilise. Alors c’est en luge-pulkas que nous décidons finalement de dévaler la pente. Les descentes deviennent une vraie partie de rigolade ! Ce n’est pas évident de se repérer à la seule lecture de la carte sur ces territoires de glace… ! Les feux d’une moto-neige nous rassurent.  Nous ne sommes plus très loin du village de Tiniteqilaaq. La nuit commence à tomber. Frontales sur nos bonnets, cette arrivée au village sonne comme une délivrance. Pas le temps de se féliciter, on s’empresse d’installer notre campement, escortés par les chiens du village. Je pousse un grand soupir de satisfaction, enfin nous y sommes !

 

"Des gens sympathiques, gentils, souriants, ouverts malgré la barrière de la langue"

Jour 5 : découverte de ce village du bout du monde, Tiniteqilaaq

La première partie de cette expédition est terminée. Quelques jours de repos se profilent devant nous. Le temps de reprendre des forces avant de rentrer, mais surtout de découvrir la vie locale. Les villageois nous saluent. Notre voisin, qui habite la maison proche de notre tente, mime des mains le froid en se frottant les bras. Pouce en l’air, je lui fais comprendre que tout va bien. Ensuite, il nous dit simplement « food » en approchant ses mains de la bouche. Il nous invite à le suivre chez lui. Il faut se déchausser dans le premier sas. Dans cette entrée fermée sont entreposées les affaires pour l’extérieur, bottes et gros manteaux. Sa femme a préparé une boisson chaude et de quoi manger. Nos échanges sont très limités à cause de la barrière de la langue.

En mimant et en montrant les objets, on parvient à se faire comprendre. Je leur demande de m’écrire leur nom : la femme s’appelle Ida Wille et son mari Kristen Kari. Afin de les remercier et d’immortaliser ce moment, nous leur tendons l’écusson de notre expédition. Kristen nous remercie de la tête et saisit une boite. Il l’ouvre délicatement, nous dévoile toute sa collection d’écussons et d’autocollants ! Camille est fasciné. Kristen en choisit minutieusement un et le lui tend, en cadeau ! Nous les remercions et engageons la visite du village. Une cinquantaine d’habitations, une salle des fêtes, un petit supermarché, une école, une citerne pour l’eau. Ce village, très isolé dans ce petit fjord de l’Est, ne dispose pas de l’eau courante dans les foyers. Il y a uniquement cette citerne, depuis laquelle nous remplissons également quotidiennement nos gourdes. L’école est très vivante, les enfants en cour de récréation jouent avec bonheur. Et puis finalement Camille se retrouve à animer une folle course de vitesse en leur donnant le top départ. On devient rapidement l’attraction du village, pas de touristes, seulement eux et nous « les étrangers » venus observer et partager un moment de leur vie.

Ce jour-là, malgré un ciel plutôt couvert, la lumière est aveuglante. Comme hypnotisés, on observe la banquise qui semble une nouvelle fois figée. Je m’imagine l’été ici, ce doit être un ballet incessant d’icebergs s’échappant dans l’océan. Une heure plus tard, nous sommes encore assis sur ce banc. Rien ne semble pouvoir nous déconcentrer, pas de connexion, pas d’internet, pas de « vrai toit ». Nous sommes un peu des nomades avec pour seul repère notre petite tente jaune. Un peu plus loin en retrait du village, nous décidons de prendre de la hauteur en grimpant plus haut. Depuis ce nouveau point de vue, on aperçoit la calotte glacière et le fjord Sermilik. Le réchauffement climatique fait fondre prématurément les glaciers. Il faut savoir que les habitants, les Inuits, initialement nomades, vivent pour la plupart sur les côtes pour s’adonner à leurs activités : la chasse et la pêche.

Jour 6 : départ de Tinetiqilaaq

Aujourd’hui, le temps semble plus dégagé. Le thermomètre, toujours négatif, est très correct pour un mois de mars au Groenland. Des corbeaux volent dans le ciel, seuls témoins de cette vie matinale, les habitants ne semblant pas encore levés. C’est la première fois que l’on voit des oiseaux depuis que nous sommes arrivés. Le paysage est poudré de blanc, du sol au toit des habitations. On repart sur la banquise, en suivant le chemin par lequel nous sommes arrivés. Pas vraiment serein, Camille porte à son épaule le fusil. Sait-ton jamais, si l’on rencontre un ours blanc ! L’ambiance est très mystique et c’est exactement l’image que j’en avais avant d’arriver. La lumière transperce les glaciers de reflets bleus. Il paraît que le Groenland est baigné de soleil plus de 200 jours par an !

Jour 7 : retour vers Tasiilaq

6 h 50 : lever difficile, le thermomètre affiche -7°C. La tente a givré à l’intérieur. Nous empruntons approximativement le même itinéraire. Moins chargés que le jour de notre départ, la progression est plus facile. Le paysage semble paradoxalement nouveau. La visibilité nettement meilleure. J’aperçois les montagnes et des sommets abrupts. Durant cette expédition, notre système de descente se perfectionne. Skis et bâtons accrochés à chacune de nos pulkas, c’est parti pour une descente dans ces immenses étendues blanches. Que du bonheur, une belle sensation de glisse ! Le moral revient petit à petit. Il fait à peine 1°C, mais je ne ressens pas le froid. Constamment en mouvement, on n’a pas le temps de se refroidir. Un peu pressé, Camille donne le tempo. On doit atteindre avant la tombée de la nuit notre cabane du premier jour. Je ne m’inquiète pas vraiment quant à sa disponibilité. J’imagine qu’elle ne sert qu’en été lorsque les lacs ont dégelé. L’atmosphère est plus que grisâtre et il se met à neiger abondamment. Arrivés à la cabane, comme c’est le dernier soir, on décide de faire un gros festin. Pas d’économie sur la nourriture : soupe forestière, couscous au poulet et petites pâtes aux légumes, toujours lyophilisés ! On savoure, on rigole et on profite de ces derniers moments avant de se jeter dans nos gros duvets d’expédition !

Jour 8 : garder confiance en soi malgré la perte de repères

Réveil à 5 h 30. Le paysage est totalement blanc, comme tous les matins ! Mais je n’aperçois plus nos traces de skis de la veille. C’est angoissant… Il reste un peu plus de 22 km et nous n’avons aucune visibilité avec toute cette poudreuse. Allez c’est parti ! A l’abri du vent, dans le sillage de Camille, je le suis aveuglement. Cagoule sur la tête et masque pour me protéger, j’affronte les éléments. Cette expédition, on la savoure dans tous les moments, les bons comme les plus durs… La pulka, c’est vraiment indispensable, notre maison mobile, notre survie. Sans elle, impossible de transporter notre matériel de bivouac, notre nourriture et nos habits. On revient donc au besoin primaire : se loger, se nourrir et se vêtir ! Toute cette poudreuse… On avance sans être vraiment certains de l’itinéraire, Camille s’arrêtant toutes les trente minutes pour regarder notre carte en papier. Comment lire ce relief tout enneigé ? On ne croise personne, pas une moto-neige, pas un traineau à chiens. C’est l’angoisse pour moi. Camille ouvre le chemin dans la poudreuse, de la neige à mi-mollets, les skis totalement dissimulés. Par moment je pense reconnaître le chemin sans pour autant savoir me repérer. C’est à la fin du lac que Camille commence à douter de l’itinéraire. Et la neige colle de plus en plus sous nos skis. Il faut les lever à chaque fois de la poudreuse, c’est épuisant. Trois kilomètres plus tard, apparaissent enfin des traces de chiens de traineaux. Quel bonheur ! Avec plus de sérénité, la dernière ligne droite me semble pourtant terriblement longue. Nous voici arrivés, comme des gagnants !

Robert nous accueille les bras ouverts. Il me regarde et me tape sur l’épaule. Quelques mots sont échangés, faisant part des difficultés, mais aussi du bonheur du chemin parcouru. Nous ne sommes pas les seuls bien évidemment à effectuer ce parcours et pas non plus les derniers. Il y a du passage à la Red House. Gentiment, Robert nous apporte des serviettes de bain. Je fonce la première sous la douche brûlante, savourer ce moment tant attendu depuis quelques jours. Oui, c’est l’une des meilleures douches de toute ma vie !

En totale autonomie, nous avons emprunté cet itinéraire en plein hiver. Les conditions n’ont pas été idéales bien que la météo nous ait préservé des températures trop négatives. Robert Peroni, gérant de la Red House, véritable mine d’informations pour les voyageurs, nous a donné de précieux conseils.

Tout au long de l’expédition, j’ai ressenti cette ambiance de bout du monde, de dépaysement le plus total. Cette expédition nous a grandis, soudés et émerveillés. Je garde en mémoire la lumière intense de la glace et la gentillesse des habitants à notre égard. Nous étions loin d’imaginer que cette aventure face au 66° nous aurait autant plu !

Le chemin parcouru…

Jour 3 : 21,55 km, à 2,5 km/h de moyenne, avec 440 mètres de dénivelé positif.

Jour 4 : 22,45 km, à 2,2 km/h de moyenne, avec 820 m de dénivelé positif et 973 m de dénivelé négatif.

Jour 7 : 20 km à 2.9 km/h de moyenne avec 765 m de dénivelé positif à 2,9 km/h de moyenne

Jour 8 : 24 km à 2.8 km/h de moyenne avec 245 m de dénivelé positif